Connais toi toi-même disait Socrates
Je parle ave décontraction et en permanence, sur internet et IRL, du fait que j'ai découvert il y a 6 mois que j'étais autiste depuis 43 ans.
Ah bon, mais t'es sûr ? T'as vu un médecin ?
Être lesbienne en 1999
1999 c'est l'année où je suis devenu majeur, et aussi l'année où les gays, lesbiennes, trans et queers ont remporté en France une première bataille pour sortir de l'infantilisation dans laquelle ils étaient enfermés. Après des débats houleux et malgré que Christine Boutin fasse un rappel au règlement en brandissant la Bible, le pacte civil de solidarité a été voté.
Être lesbienne en 1999 c'était subir des indignités au quotidien :
Brave gens : moi je suis pro-PACS, mais enfin vous avez-vous cette "femme" qui a été infecte avec Christine Boutin ?
Alice : Qu'est-ce que vous lui reprochez ? Elle avait raison, elle a bien démonté les arguments de Christine Boutin
Brave gens : Oui mais ça n'excuse pas tout, elle pourrait être polie, et aussi elle pourrait s'habiller comme une vraie femme déjà.
Alice : Elle a le droit de s'habiller comme elle veut. Elle est lesbienne. Moi aussi je suis je crois que je suis lesbienne.
Brave gens : Non, tu n'as du tout l'air d'une lesbienne toi, tu est féminine et tout. Tu es jeune et tu es confuse, c'est la mode en ce moment, tout le monde se croit gay. Ne te laisse pas pas enfermer par les étiquettes
Alice : une étiquette ? mais dans ma classe les garçons ne m'attirent pas alors qu'une meuf m'attire beaucoup.
Brave gens : mais non, si les garçons de ta classe ne t'attirent pas, c'est simplement parce que tu n'es pas encore tombée sur le bon
Alice : pourtant je crois bien que je suis lesbienne
Brave gens : mais non, tu ne peux pas dire ça sur la base d'un auto-diagnostic, c'est trop grave. Tu as vu un docteur ?
Libérer l'autisme de la tutelle médicale
Je pense que sur la santé mentale et la neuroatypie, on revit 30 ans plus tard ce qu'ont vécu les LGBT. Alors d'un côté ça pue. De l'autre on a un modèle à suivre pour améliorer les choses. Et l'une des toutes premières victoires du mouvement LGBT a été de s'émanciper de la tutelle médicale.
Le mouvement autiste a la même revendication.
Il est bien entendu, sur l'autisme comme sur tout autre une sujet, une bonne chose d'avoir l'option de faire appel à un médecin ou un psychologue, comme sur toute question de santé qu'il soit.
Mais dans le cas de l'autisme, il y a un réflexe d'en faire un passage obligé qui est délétère pour un certain nombre de raisons
Thèse 1 : L'autisme n'est pas une maladie, c'est une différence
La dépression est bien une maladie parce que quand j'ai une crise de dépression, je veux m'en débarrasser au plus vite pour revenir comme j'étais avant.
Par contre être lesbienne ou autiste c'est différent.
Je suis totalement ok avec le fait d'être autiste. L'autisme est une différence. Cette différence qui fait partie de moi, c'est ce qui me rend intéressant et stylé. Je ne souhaite pas devenir quelqu'un d'autre, il y a déjà les autres qui sont normaux, il n'y a que moi qui puisse être moi-même.
Thèse 2 : L'autisme c'est une affaire de spécialistes
La dépression est bien comprise dans le corps médical, et si on s'adresse à un médecin généraliste normal, il n'aura pas de souci à détecter que vous êtes dépressif et à vous orienter vers quelqu'un d'autre pour creuser le sujet.
Ce n'est pas le cas de l'autisme ! J'ai passé énormément de temps de 2010 à 2025 devant toute une série de personnels de la santé du fait de mes dépressions. Toute une série de médecins généralistes, médecins psychiatres, infirmiers, psychologues, thérapeutes de toute sorte. Et pourtant cela n'a pas suffit à détecter que derrière mes dépressions, il y avait quelque-chose de plus fondamental encore.
La compréhension fine de l'autisme est récente, et les médecins formés avant 2012, sauf s'ils se sont spécifiquement formés depuis, ont appris des choses aujourd'hui obsolètes. Pour avoir un résultat fiable sur l'autisme, il faudrait aller voir une psychologue spécialiste de l'autisme, un psychiatre spécialiste de l'autisme, un centre expert sur l'autisme.
Tout ce parcours médical interminable et épuisant, pour quoi au final ?
Imaginons qu'on ait de la chance et on tombe sur un médecin bien formé. Il va avoir un souci pour vous aider parce que la grande majorité du problème des autistes n'est pas de son ressort. Lutter contre le VIH c'est du ressort du médecin. Lutter contre l'homophobie non, c'est du ressort de la communauté LGBT.
Alors on pourrait imaginer qu'au moins le fait d'avoir un diagnostic médical "officiel" protège les autistes.
Malheureusement il n'en est rien. Même avec un diagnostic médical, la réaction épidermique de la société c'est le gaslighting, le déni, l'invalidation.
L'autorité médicale n'est pas assez forte contre le validisme.
Thèse 3 : Faux Positifs << Faux Négatifs
Très bien vous me diriez, dans ce cas qu'à t'on à perdre à envoyer les 3% de la population concernée en centre experts sur l'autisme pour qu'ils aient tous un diagnostic solide ?
Le souci c'est qu'on ne peut pas diminuer les faux positifs (les gens détectés autistes mais que ne le sont pas) sans augmenter drastiquement les faux négatifs (les gens qui sont autistes mais ne le savent pas).
C'est pour la même raison que dans votre boite email il y a encore des spams. On pourrait faire des règles encore plus strictes qui classifient plus de spam au bon endroit, par exemple en bannissant les mots "argent" et "sexe". Mais si on fait cela les emails de votre cousine "Ca y est, on connait le sexe de notre futur bébé" et de votre femme "faut qu'on parle d'argent, tu es dispo ?" vont passer dans la boites à spam.
Il en est exactement de même ici. À chaque fois que vous rajoutez contraintes sur contraintes pour être sûr que personne n'ait l'étiquette "autiste" alors que ce n'est pas vrai, vous augmentez drastiquement le nombre de personne autistes qui ne vont jamais se faire "diagnostiquer".
Thèse 4 : Ce n'est pas grave de se croire autiste et de se tromper
L'intuition commune dicte qu'il serait grave d'avoir un diagnostic d'autisme alors qu'on ne le serait pas.
Parce que le mot "autisme" est utilisé comme une insulte, il y a une crainte que se l'auto-attribuer serait une affaire à haut risques :
Si je dis "je suis autiste", ou même si je commence un auto-diagnostic, PAF je serais une personne différente et pire de qui j'étais hier, et ce de manière irréversible.
Il n'en est rien.
Si j'ai une douleur dans la poitrine et que j'ai la crainte d'avoir un cancer, quel est le problème d'aller à l'hopital pour vérifier ? Au mieux je suis rassuré, au pire j'ai la confirmation d'une mauvaise nouvelle, et plein de pistes de professionnels pour savoir comment y réagir. C'est certes la merde d'avoir un cancer, mais le cancer était déjà là avant de faire le test, et faire l'autruche n'aurait rien résolu.
Il faut mieux savoir, vraiment !
Mais prenons le scénario du pire et admettons l'erreur de diagnostic.
Voici ce qu'il se passe si vous dites "je suis autiste" et que vous vous êtes plantés
Vous restez la même personne
Vous allez rencontrer des gens dont vous pensez être proches, mais en fait non
Vous allez piocher dans les ressources de la communauté et vous essayez les stratégies, mais ca ne donne pas d'effets flagrants.
Vous vous lassez un peu.
Vous comprenez que vous vous êtes plantées.
Vous arrêtez de dire "je suis autiste"
Vous êtes toujours la même personne qu'avant cette parenthèse
Thèse 5 : Il est bien plus grave et bien plus fréquent d'être autiste sans en avoir conscience
Le vrai problème ce ne sont pas les faux diagnostics fantasmés, c'est les très nombreux non diagnostics.
Le vrai problème, c'est les gens comme moi qui ont passé des décennies sans comprendre qu'ils étaient autistes, sans comprendre ce qui leur arrive, en se battant face à une ennemie masquée, sans connaitre ses stratégies ni quels armes utiliser pour y faire face. On ne comprend pas ce qui nous arrive. On s'épuise au hasard.
Je me retrouve énormément dans ce coming out éloquent de Nina Ramen
Thèse 6 : Bien nommer les choses, c'est enlever au malheur du monde
Connais-toi toi-même
Un bon conseil qui n'a pas pris une ride. C'est par contre loin plus facile à dire qu'à faire. Mais apprendre à connaitre sa culture c'est un pas indispensable dans cette direction. Il se trouve que la meilleure manière de comprendre l'autisme c'est de la voir comme une culture minoritaire qui a la mauvaise réputation.
Moi je suis français, blanc, cis, hétéro, dans la quarantaine, polyglotte, ingénieur, artiste et autiste. On peut dire que tout cela, c'est des "étiquettes" et qu'elles ne suffisent pas à me définir. Et c'est vrai pour la seconde partie.
Il n'empêche que ma vie serait vraiment différente si j'étais une musicienne lesbienne trans latina neurotypique de 25 ans. J'en serai ravi aussi, je dis juste que ce serait une vie bien différente !
Ce qui est vrai c'est que les étiquettes sans validité scientifiques ne servent à rien. Si quelqu'un me dit qu'il est capricorne, la seule chose de fiable que je sais sur lui, c'est qu'il né en tout début d'année, ce que j'aurais pu savoir en lui demandant directement sa date de naissance. Mais l'autisme c'est tout ce qu'il y a de plus valide scientifiquement.
Ce qui est vrai c'est que définir une culture c'est difficile. Ouais les allemands ils aiment le foot (les italiens aussi) et la bière (les belges aussi) mais en vrai pas tous, il y en a qui aiment pas le foot et sont des fins connaisseurs de vin rouge. Mais je suis désolé, les allemands en moyenne sont différents des italiens en moyenne.
C'est difficile mais c'est fructueux. Quand j'ai peu à peu entendu les récits des autistes, j'ai initialement ressenti que mon intimité était violé. Moi qui croyait être bizarre, unique, spécial, je me suis rendu compte que j'étais juste un autiste normal.
Et ce sentiment d'appartenance, ça fait beaucoup de bien !
Thèse 7 : Les experts de l'autisme, ce sont les autistes eux-mêmes
Petit con : Ah ouais tu crois pas en la médecine, et à la place tu fais confiance à n'importe quoi écrit sur internet gniarf gniarf ?
N'en déplaise au petit con, la médecine moderne accorde de plus en plus de place aux patients experts. Si tu es dépressif, parler à un autre dépressif qui est passé par là, qui s'en est sorti, qui est comme toi et a l'habitude de parler avec des gens comme toi, cela a une immense valeur.
Cela est encore plus vrai dans le cas de l'autisme, parce que les autistes ont cette capacité bien connue de s'hyper focaliser sur un sujet qui pique leur curiosité pour creuser l'affaire. C'est ce qu'on appelle un intérêt spécifique. C'est la raison pour laquelle un métier comme chercheur, dev, ou créateur de contenus convient très bien pour les autistes.
Et quoi de plus naturellement intéressant pour un autiste que... l'autisme ?
Ma référence sur l'autisme, c'est la série encyclopédique parue aux éditions Substack "Nicolas & Emma racontent l’autisme.
Regardons par exemple la liste des livres que Nicolas Galita a lu sur l'autisme
J'ai mis que les trois premiers parce qu'il y en plus que d'une vingtaine !!!
Et pourtant le petit con vient avec son mépris, illustrant la maxime de Charles Bukowski
The problem with the modern world is that intelligent people are full of doubts, while the stupid ones are full of confidence
-- Charles Bukowski
Thèse 8 : Flashé par le radar neuroatypique
Alors comment faire pour détecter l'autisme si la solution médicale est aussi limitée ?
J'ai lu récemment l'excellent tutorial Comment devenir lesbienne en dix étapes ? de Louise Morel. Une question qui m'intriguait c'est comment diable font les gouines (l'auteure se réapproprie ce mot qui était autrefois une insulte) faisaient pour trouver des partenaires. Déjà moi je me demande 107 fois si j'aborde ou pas une meuf à priori qui m'attire, mais si j'étais née meuf, et que j'avais eu le bonheur de rester attiréə par les femmes, j'aurais du en plus me demander si elle faisait partie de la petite minorité gouine... la galère !
Et c'est là que j 'ai appris la notion qu'il existe un gay radar qui permet de détecter les autres queers. Un radar qui est à la fois intuitif, mais qui peut aussi se décrire très concrètement, ce qu'e Louise Morel fait dans le livre.
Et bien moi j'ai été flashé sur le radar neuroatypique là où des années d'errance médicale ne donnaient rien. On parlait de je ne sais quoi avec un vieil ami d'école d'ingénieur
lui : mais ça c'est normal qu'on ait cette difficulté nous les TDAH
moi : attends, toi tu es TDAH mais pas moi, je suis juste dépressif
lui : quoi ? tu n'es pas TDAH toi ? mais ça me semblait tellement évident que tu l'étais que je n'étais même pas demandé.
Je ne vous raconte pas comment ça m'a fait cogiter.
Pour le coup j'ai fait le diagnostic officiel de TDAH... et je suis tombé de ma chaise tellement c'était évident une fois qu'on posait les bonnes questions.
C'était il y a 9 mois et à l'époque je n'étais pas du tout autiste.
Par contre parmi les gens que j'aimais beaucoup lire, il y avait Emma qui était autiste, Nicolas Galita qui était autiste, Nina Ramen qui était autiste, plein d'autres dans la sphère anglophone qui rétrospectivement ont vachement l'air autistes aussi.
Et maintenant que je comprends mieux l'autisme, je regarde mes amis, ils sont super, mais un peu chelou, ils ont quelque-chose en commun : moi.
Je ne leur ai pas encore annoncé la bonne nouvelle, mais il y en a un nombre certain, qui ont une forme plus ou moins claire de neuroatypie.