Remettre un peu de dignité dans la recherche d'emploi
Cours de recrutement inversé gratuit pour les devs par un dev qui a fait du recrutement
Tu es bien dans la série : Comment trouver un job quand le marché est pourri et qu'il n'y a rien à attendre de LinkedIn ?
N'as tu pas déjà eu lors des process d'entretien l'impression désagréable d'être une bête de foire à qui on demande de sauter de cerceau en des cerceau pour amuser le public. en tout cas pour des raisons qui ont très peu à voir avec l'évaluation de ta capacité à faire le taf pour laquelle on embauche ?
Le CV et la lettre de motivation
Alice : qu'est-ce qu'il y a comme mauvaises pratiques de recrutement qu'on accepte sans broncher ?
Moi : oh il y en a plein ! C'est un constat largement accepté dans le recrutement que les mauvaises pratiques sont beaucoup plus virales que les bonnes.
Alice : par exemple
Moi : pour revenir à des choses super basiques, j'ai une dent contre le CV. Ce reliquat de l'ère industrielle où les salariés sont interchangeables et on a besoin d'une feuille de papier A4 pour assurer le tracing. On est censé se vendre via son CV, mais c'est le pire format marketing du monde. Le moins crédible. D'après les CVs, 95% des français parlent anglais : HUGE, IF TRUE.
Alice : je confirme, dans la vraie vie 95% des français parlent bien anglais !
Moi : non mais en vrai ils ont raison de mentir dans leur CV, c'est pas mieux de se faire discriminer pour rien si ca n'a rien à voir directement avec la capacité à faire le taf
Alice : et la lettre de motivation, on en parle ?
Moi : je me rappelle quand j'étais jeune je procrastinais comme un malade à chaque fois que j'avais besoin de faire une lettre de motivation
Alice : mais pourquoi ?
Moi : mais parce que c'est du gros bullshit ! L'entreprise fait du narcissisme en s'imaginant qu'on est motivés AVANT de la connaitre, juste sur la base de leur fiche de poste mal rédigée où rien ne permet de se projeter. C'est vrai uniquement si tu fais partie du top 3 des entreprises dans le monde où j'aimerais travailler. Autrement, c'est systématiquement APRÈS avoir rencontré les futurs collègues que je me suis senti motivé pour travailler dans une boîte.
Alice : mais pourquoi on accepte cela ?
LinkedIn, un milieu hostile
Moi : Et le pire avec le CV, la lettre de motivation, LinkedIn, etc, c'est qu'on nous a appris à parler en langage bullshit RH : "_in-génieur-ensi-mag-deux-mille-six, pa-ssio-né-di-nno-va-tion-dy-na-mique-et-motivé, blah blah blah"
Alice : oui, personne ne parle comme cela dans la vraie vie.
Moi : Et cela nous dessert pendant le processus de recrutement. On ne peut vendre qu'en étant soi-même, faire autrement crée une tension interne source de mauvaise vibes. Il faut mieux parler comme si on était un être humain normal !
Charlie : cela dit aujourd'hui, c'est plus le CV, c'est LinkedIn
Moi : ça change quoi ? Je dirais au contraire que LinkedIn c'est un milieu hostile pour un ingénieur. Le logiciel est claqué au sol. La messagerie est broken by design. On est harcelés par des gens qui ne lisent pas les profils mais qui réagissent aux buzzwords du moment, c'est aussi peu agréable que pour une fille conventionnellement belle d'avoir 100 swipes Tinder par jour.
Alice : moi c'est le contenu publié sur LinkedIn qui me donne la nausée. Tout est fake, tout le monde joue un rôle, tout le monde se démarque en utilisant les memes recettes qui marchent sur LinkedIn que les autres.
Moi : Oui, et si j'ai le choix je préfère faire n'importe quoi d'autre que passer mon temps sur LinkedIn. Je ne peux pas leur en vouloir d'etre sur LinkedIn pour vendre leur truc, c'est la seule raison valable d'y être !
Alice : mais pourquoi on accepte ça ?
Le ghosting
Charles : moi ce que je ne supporte plus, ce sont les discours insincères comme quoi on serait des stars, et le lendemain on est des has been à qui ne on ne donne plus de nouvelles
Moi : le ghosting
Alice : mais oui, c'est exactement comme dans un date. On investit ses espoirs, tout semble bien fonctionner, il y avait des bonnes vibes, et puis brutalement... plus rien. Ce qui rend fou, ce n'est pas que ça n'est pas marché, c'est de ne pas savoir pourquoi, de ne pas savoir que faire.
Charlie : mais pourquoi les boites font ça ?
Moi : Oh ça peut être pour plein de raisons. Par lacheté comme dans un date amoureux. Parce que Sylvain est en vacances. Parce que le tech à qui on a demandé un feedback procrastine. Parce que le client ne donne plus de nouvelles. De manière générale parce que leurs processus de recrutements sont bancals, les critéres mal définis, les responsabilités pas claires, etc
Alice : mais pourquoi on accepte ça ?
Éliminée au coding game !
Alice : je suis dég', j'avais enfin trouvé une boite qui me convenait bien et je me suis fait recalé au test technique. J'ai le moral dans les paquerettes. Enfin bon, on va pas se laisser aller, je vais me mettre à apprendre Rust
Moi : il consistait en quoi le test technique ?
Alice : c'était un de ces QCM à la hacker rank / coding game / ...
Moi : ah alors ca a rien à voir avec ton niveau technique. Pour devenir bonne en coding game, il faut et il suffit de faire une série de coding games pour s'habituer à cet exercice kafkaesque
Alice : mais oui c'est pourri comme évaluation on est d'accord ? Je n'arrivais pas à etre moi-meme avec le chronomètre qui flashait en haut à gauche pour me foutre la pression
Moi : les coding games j'appelle cela la roulette russe du recrutement, ca donne des chiffres aussi fiables que la mesure de la radioactivité dans la série HBO sur Tchernobyl. Dès que j'en parle autour de moi, ca réveille des sentiments qui vont du cynisme à la douleur de l'humiliation en passant par la colère.
Alice : mais pourquoi on accepte ça ?
Les ESN, incontournables ?
Bob : et les ESN, on en parle des ESN ?
Moi : oeuf corse
Bob : moi je suis sur LinkedIn et j'ai l'impression qu'il n'y a qu'elles qui embauchent.
Moi c'est un effet d'optique. C'est parce que les ESN sont celles qui ont la pire marque employeur qu'elles sont les plus actives sur LinkedIn. Tu comprends bien qu'une boite pour qui il suffit de poster une annonce sur son site pour avoir plein de devs qualifiés qui postulent ne va pas faire du démarcharge agressif sur LinkedIn.
Bob : Et pourtant y'a rien qui m'enthousiasme moins que de recevoir un appel téléphonique d'une ESN qui me dit "_Bonjour, je vous appelle parce que vous avez un profil très séduisant, nous ne sommes pas une ESN, nous somme un cabinet de conseil, rien à voir avec Cap Gemini, nous sommes une entreprise à taille humaine et bienveillante. Nous avons des beaux clients chez les grands groupes"
Alice : le fameux "nous ne sommes pas comme les autres, c'est pour cela que nous vous disons exactement pareil que tout le monde"
Bob : voilà, et comme tu sais pas chez qui tu vas travailler, zéro moyen de se projeter même dans le cas où ils seraient effectivement "humains et bienveillants
Moi : J'ai connu avec Altran la grande époque des SSII bien décrite dans "le livre noir du consulting". À l'époque on tapait avec raison sur les "vendeurs de viande", mais pour moi le vrai problème aujourd'hui, ce sont les "acheteurs de viande".
Alice : effectivement s'il y a un acheteur, il y a un vendeur.
Moi : cet acheteur c'est le service achats des grands groupes. Le système des ESN existe parce qu'il est voulu par la Société Générale. Elle y trouve son compte.
Alice : mais pourquoi ?
Moi : En gros pour embaucher des ingénieurs, il y a trois choses qui sont difficiles : embaucher les bonnes personnes dans l'équipe, leur fournir un bon environnement de travail, et les former de manière continue. Et la société générale, ça elle sait pas faire. Mais elle a trouvé la parade : elle délègue le recrutement et la formation à des boites qui ne savent pas faire non plus.
Alice : bien résumé. Un système presque pas bancal.
Moi : Oui mais ça marche à court terme. Ça donne de la flexibilité contractuelle. On embauche au doigt mouillé, mais si ça foire, haro sur le baudet de la SSII qui sert de bouc émissaire et va remplacer le "consultant" - un salarié déguisé en fait, mais sans les droits du salarié.
Alice : mais pourquoi on accepte cela ?
Mais pourquoi on accepte cela ?
On accepte cela parce qu'on n'a pas conscience de notre valeur sur le marché de travail.
On accepte cela parce qu'on ne fait que rentrer dans les processus des autres sans prendre le temps de poser les siens, sans poser notre propre cadre, notre audience, notre GPS, nos lignes rouges.
On accepte cela parce qu'on sous-estime l'importance du recrutement, pourtant crucial dans nos carrières. Beaucoup de mauvaises pratiques pourraient pourtant bouger si les devs qui sont à l'intérieur d'une boite donnaient leur avis sur la manière dont sont recrutés les futures collègues.
Pour retrouver les épisodes précédents de la série, c'est par ici
C'est très intéressant.
Est-ce que tu pourrais présenter les personnes qui discutent ? Je n'ai pas réussi à les identifier clairement.