Le fabuleux autisme d'Amélie Poulain
Amélie est-elle autiste ou alliste ?
L'intervention de Monsieur Jourdain
Monsieur Jourdain: Pardonnez moi monsieur, mais je vous vois venir. Vous vous apprêtez à poser la question de savoir si Amélie Poulain est autiste ou alliste. Ce qui est parfaitement insensé. Il est évident que Amélie, étant une personne de grande qualité, n'est ni autiste, ni alliste.
Le maitre de philosophie : Il faut bien pourtant qu'elle soit l'un ou l'autre.
Monsieur Jourdain : Pourquoi ?
Le maitre de philosophie : Par la raison monsieur que tout ce qui n'est point autiste est alliste, et tout ce qui n'est point alliste est autiste.
Monsieur Jourdain : Et moi, si je ne suis pas autiste, que suis-je donc ?
Le maitre de philosophie : Alliste monsieur.
Monsieur Jourdain : Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je suis alliste sans que je n'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela.
Le maitre de philosophie : C'est moi qui suit votre obligé. Vous n'imaginez pas ce que j'ai enduré dans un cas similaire à essayer en vain d'expliquer à un adulescent, un certain Elon, que le mot "cis" n'était pas une insulte et un complot, à moins que Jules César ne fasse partie dudit complot quand il conquit la gauche cisalpine. C'est pour les élèves comme vous qu'on fait ce métier monsieur Jourdain.
Monsieur Jourdain étant satisfait, continuons.
La thèse officielle du film
Dans son film éponyme, Amélie Poulain n'est jamais identifiée comme autiste. Ce serait une alliste qui aurait été surprotégée suite à une erreur de diagnostic de son père quand elle était jeune.
Néanmoins on aurait tort de s'arrêter là, voyons les indices inverses.
Pour cela on va se baser sur ma chansonnette
La mauvaise réputation... des autistes
Nous les autistes / sans prétention
On a mauvaise / réputation
On passe / pour des chelous
Des asociaux / des imbéciles
Amélie est cheloue, super cheloue.
Rien que sa tête sur l'affiche du film est cheloue. C'est même comme ça que j'ai repensé à ce film, en me demandant quel personnage de la culture populaire est particulièrement chelou.
Amélie passe aussi pour asociale.
En dehors de son café des deux moulins, elle n'interagit personne,
observant la société de loin comme une chorégraphie étrange.
Amélie parait semi-teubée, si on la regarde avec les yeux de Colignon.
Notez bien qu'on parle de perception auxquels succombent ceux qui ne se fondent que sur ce qui saute aux yeux.
Une attention profonde prouvent que ce sont...
L’autisme vs sa caricature externe
...des clichés / partiaux-et partiels
Bien méprisants / Bien anxiogènes
La chance qu'a Amélie, c'est qu'étant l'héroine de son film, elle a en permanence le narrateur qui nous donne son mode d'emploi
et fait que ses comportement nous intriguent et nous font sourire au lieu de nous gêner.
Le narrateur nous fait comprendre que Amélie est sociale, juste différemment, et que c'est une sacré futée avec tous ces stratagèmes.
D'où le mot d'ordre...
Substituons cette / Caricature externe
Par les récits vécus / des autistes eux-mêmes
Sensorialité
Quand par chance / une belle femme
Me jette un / regard intense
J'détourne les yeux / et pourquoi le taire
La belle dame / s'sent mal à l'aise
C'est exactement ce que fait aussi Amélie qui préfère déployer ruse sur ruse que d'affronter les yeux dans les yeux son crush Nino Quincampoix.
J'voudrais pouvoir dire / à cette charmante personne
La sensorialité / chez nous est hors normes
C'est une constante dans le fabuleux destin d'Amélie Poulain.
Amélie ne ressent rien pour son premier rapport sexuel, dans une scène d'une gênance légendaire.
Par contre plonger la main dans un sac de graines la porte au septième ciel 💓💓💓💓💓💓💓💓
L'autisme au féminin
Le cliché de l'autiste auquel on pense, c'est un petit garçon blanc en échec scolaire mais qui connait
un million de décimales de PI. Personne qui n'a le choix ne se reconnait dans ce cliché, tu m'étonnes, même pour faire marcher le système GPS, ça suffit de d'approximer PI=3.1415926535 (10 chiffres).
J'ai au moins / la chance d'être un mec
J'évite ainsi / la double peine
De l'autisme / au féminin
Moins visible / plus mesquin
Amélie n'a pas l'air d'être un autiste parce que c'est une femme, une adulte, qui travaille.
Du coup elle ne gêne pas, du coup elle passe sous le radar... ce qui n'est pas une bonne chose.
Derrière le masque
Ne voient-ils donc pas / l'épuisement qui guette ?
Derriè-re le masque / La souffrance muette*
Mais les braves gens / n'aiment pas que
La vie d'Amélie au départ du film est une morne plaine comme Waterloo, elle est terriblement isolée, alors qu'elle a tant à apporter au monde, quel gâchis !
Cette métaphore du masque est filée par cette scène où Raymond Dufayel explique à Amélie qu'il a compris pourquoi
il ne parvient pas à terminer son Renoir, son "déjeuner des canotiers".
Il y a une dame dont il ne parvient pas à saisir le visage, parce qu'à force de se cacher, elle n'est plus personne.
On comprend qu'il s'agit d'Amélie camouflée et enfermée derrière son masque autistique.
Radar neuro-atypique
Parler d'nos ga / lères en commun
Le croiriez vous? / Ça crée des liens.
Amélie galère beaucoup à vivre pleinement sa vie.
Heureusement, elle n'est pas seule, elle n'est pas seule, elle n'est pas seule, elle s'est entourée de
Raymond Dufayel
Nino Quincampoix
Djamel Debouze qu'elle sauve de la tutelle de l'infâme Colignon
des collègues névrosées
des voisins névrosés
Amélie qui n'a à priori pas conscience d'être neuro-atypique a réuni autour d'elle une joyeuse bande de neuroatypiques
Et moi ça me rappelle quelque-chose
Et c'est en lisant "Comment devenir une lesbienne en 10 leçons" que j 'ai appris la notion qu'il existe un gay radar qui permet de détecter les autres queers. Un radar qui est à la fois intuitif, mais qui peut aussi se décrire très concrètement, ce qu'e Louise Morel fait dans le livre.
Et bien ils se trouvent que c'est pareil chez les neuroatypiques. Si on l'est, y'a toute les chances que parmi nos meilleurs amis, les gens qui nous ont le plus marqué, il y ait pas mal de neuroatypiques, même quand on a pas conscience de l'être soi même.
Maintenant que je suis autiste, je comprends facilement ce qu'il s'est passé : mon radar neuro-atypique s'est rendu compte que Brassens est passé par le meme genre de galère que moi parce qu'il était autiste, et comme il avait eu le courage d'en parler en long et en travers, ça m'aidait vachement d'écouter ses chansonnettes et j'ai développé un intérêt spécifique pour lui.
--> Jean-Michel raconte: George Brassens est-il autiste ou alliste ?
Intérêts spécifiques
Tous ces personnages ont leurs intérêts spécifiques qui les passionne,
Raymond Dufayel repeint inlassablement son Renoir
Nino Quincampoix collectionne les rejets de photomaton
Amélie est hyperfocalisée sur la vie des autres, devine leur blessure et imagine des stratagèmes pour cicatriser les plaies
Faites parler les autistes sur leurs intérêts spécifiques et vous verrez que vous avez affaire à des passionnés :
Il s’agit d’une forme d’obsession pour un sujet, une activité ou un univers, qui pousse à une accumulation frénétique de connaissances ou de contenus, par exemple :
regarder toutes les vidéos d’analyse et de commentaire sur une série en particulier - tout en la bingeant en boucle,
acheter tout le matériel pour du diamond painting
lire tous les éléments historiques, sociologique, physiques, philosophiques, psychologiques liés à un sujet donné (par exemple une personnalité publique ou une figure mythique).
L’hyperfixation envahit toutes les pensées et il peut être difficile de ne pas s’y plonger, mais y consacrer du temps réconforte et provoque une grande satisfaction.
--> Emma raconte : Hyperfocus et hyperfixation
Besoin de communauté
Le message du film est clair : Amélie parvient à surmonter ses galères parce c'est qu'elle s'est trouvé sa tribu.
Il y a un an je me demandais : Je ne vois pas à quoi me servirait un diagnostic de l’autisme. Imagine qu’on me dise que oui… et ensuite quoi ? Qu’est-ce que ça changera ? Sans compter que les démarches sont super longues et lourdes. Ou alors chères si on passe par le privé.
Alors oui, ce que je pourrais dire au Nicolas du passé c’est qu’en effet s’attribuer uniquement le mot autiste ne sert absolument à rien.
Et en fait c’est ça que les gens croient quand ils disent je ne vois pas à quoi ça va servir.
Mais la réalité c’est que ce n’est pas le mot qui est important c’est le manuel entier de fonctionnement, la communauté, les stratégies de compensation…
--> Nicolas raconte : Le besoin de communauté est vital
Infodump et Monotropisme
La première minute du fabuleux destin d'Amélie Poulain est dans un style bien inhabituel.
Le 3 Septembre 1973, à 18 heures 28 minutes et 32 secondes, une mouche bleue de la famille des calliphoradés, capable de produire quatorze mille six cent soixante-dix battements d'ailes à la minute, se posait rue Saint-Vincent, à Montmartre.
A la même seconde, à la terrasse d'un restaurant, à deux pas du Moulin de la Galette, le vent s'engouffrait comme par magie sous une nappe, faisant danser les verres sans que personne ne s'en aperçoive.
Au même instant, au cinquième étage du 28 de l'avenue de Trudaine, dans le neuvième arrondissement, Eugène Koler, de retour de l'enterrement de son meilleur ami Emile Maginot, en effaçait le nom de son carnet d'adresses.
Toujours à la même seconde, un spermatozoïde pourvu d'un chromosome X, appartenant à Monsieur Raphaël Poulain, se détachait du peloton pour atteindre un ovule appartenant à Madame Poulain, née Amandine Fouet.Neuf mois plus tard naissait Amélie Poulain !
Dans la vraie vie, un neurotypique aurait interrompu la discussion de manière agacée en suggérant d'aller à l'essentiel en disant.
Amélie Poulain est né le 3 septembre 1973 à Montmartre pour le bonheur de ses parents Monsieur Raphael Poulain et Madame Poulain, née Amandine Fourest.
Le style rempli de détails croustillants a un nom, ça s'appelle un infodump, un classique de la communication autistique.
Si vous regardez le style de mes billets de blog, oui c'est ça. Quelqu'un d'autre pourrait dire la meme chose en 30% du texte, mais je sais pas, ça ne serait pas la même saveur sans l'anecdote croustillante du nombre exact de battements d'ailes à la minute de la mouche bleue.
La structure de cette intro qui se fixe d'abord sur des détails avant d'arriver à la structure, et non pas l'inverse, a un aussi un nom
La théorie du monotropisme postule que l'autisme est intrinsèquement lié à une concentration étroite, et ce concept peut être appliqué à presque tous les aspects ou traits de l'autisme :
Sensibilité sensorielle : un focus unique sur une sensation particulière, au point de nous distraire complètement.
Difficultés de communication : une attention exclusive portée au sens des mots et des phrases, entraînant des problèmes liés aux implications, connotations, etc.
Le monotropisme explique également de manière élégante le fonctionnement des intérêts spécifiques chez les autistes. Ces centres d’intérêt sont parfois extrêmement précis.
(...)
Là où la plupart des gens sont polytropiques – c’est-à-dire qu’ils traitent plusieurs canaux ou intérêts simultanément – les personnes autistes sont monotropiques, ayant leur attention entièrement occupée par un petit nombre d’intérêts à tout moment.
En conséquence, nous sommes capables de consacrer une énergie et un temps considérables à des objectifs spécifiques. Nous abordons le monde comme des faisceaux laser, je suppose, plutôt que comme des phares de voiture ou des projecteurs, en explorant en profondeur tout ce qui se trouve dans notre champ d’attention restreint.
--> Nicolas raconte : MONOTROPISME : Et si l'autisme avait UN SEUL trait ?
Conclusion : Le fabuleux destin d'Amélie Poulain est un belle défense illustration de la culture autistique
Vous pouvez revoir ce film et la musique magnifique de Yann Tiersen pour quelques euros sur ces plateformes :
