Dans "Mais non, tu n'as pas l'air d'être un autiste", on a vu le réflexe de déni qu'ont les allistes (= les non-autistes) envers tout autiste qui fait son coming out autistique sans ressembler à la caricature de l'autiste.
Ce qui est presque toujours le cas vu à quel point cette caricature est partielle et partiale.
Mais attends, c'est quoi l'autisme exactement ?
Mon ami Philip a eu le meilleur réflexe d'avoir la curiosité de demander :
Tu es autiste ?
Mmmh, je ne m'en étais jamais aperçu.
…En même temps, je ne sais presque rien sur l'autisme.
On pourrait peut-être revoir les bases.
C'est quoi l'autisme au juste ?
L’autisme est un neurotype, pas une maladie.
D'un point de vue pratique, les autistes sont une minorité culturelle qui a la mauvaise réputation. Ce qui nous mets en bonne compagnie avec notamment les étrangers, les noirs, les arabes, les juifs, et les queers. Liste non exhaustive.
Comme eux nous gênons les gens normaux parce que nous ne sommes pas comme eux, nous ne communiquons comme eux, ne nous socialisons pas comme eux.
Notre spécificité est que notre différence est invisibilisée et qu'elle est très mal comprise, à commencer par les autistes eux-mêmes, dont tellement n'ont pas conscience de l'être.
J'en sais quelque-chose puisque ma propre prise de conscience a eu lieu en janvier 2025... alors que je suis autiste depuis ma naissance en 1981.
Ça fait un sacré choc de réinterpréter toute sa vie !
C'est préoccupant que personne ne m'en ai fait la remarque 40 ans, parce que si on me passe à côté du truc avec moi qui suis un cas facile, vous comprenez bien combien va galérer 4 fois plus que moi la meuf autiste qui s'épuise à masquer son autisme sans rien dire, de l'aurore jusqu'au couchant, pour ne pas déranger les gens.
En vrai les gens normaux le remarquent très bien que je suis spécial, bizarre, chelou.
Ce qu'il manque en fait, c'est une définition claire de l'autisme pour associer le signifié et le signifiant ! Alors je vais faire un truc casse gueule.
Je vais expliquer l'autisme à partir de mon cas particulier.
C'est quoi les critères pour savoir si je suis autiste ou pas ? Ce sont les critères qui sont dans le DSM-5
Un autiste c'est quelqu'un qui se reconnait
dans les 3 critères A,
dans au moins 2 critères B sur 4,
Critères A1, A2, A3
Extrait de l’article : le DSM reformulé pour les autistes
Je me reconnais entièrement dans ces 3 critères et voici pourquoi.
✅ A1 : Communication atypique
Le manuel des interactions sociales, j'ai toujours eu l'impression de l'avoir appris en tant que langue étrangère, là où pour d'autres c'était la langue maternelle.
Je déteste le smalltalk, toutes ces questions tellement rabâchées qu'on n'écoute même plus la réponse, parce que c'est le 42ème "ça va ? ça va" de la journée.
Je suis le roi de l'infodumping. Quand un sujet me passionne, j'ai besoin d'en parler en détails et en nuances et je suis frustré quand on me coupe au bout de 20 secondes.
À l'inverse quand le sujet me gave, j'ai du mal à faire semblant de ne pas m'ennuyer.
J'ai une myopie des visages et des prénoms, que j'oublie encore, et encore. C'est super frustrant.
Je suis d'une franchise inhabituelle dans ma communication.
J'oublie souvent de dire bonjour et de saluer les gens en partant. Ce que je regrette pour le coup.
Je suis à l'aise dans les conversations en tête à tête, mais je déteste interagir à l'intérieur d'un groupe. Comme disait Brassens : Dès qu'on est plus de quatre, on est une bande de cons.
✅ A2 : Communication non-verbale atypique
Je détournais la tête spectaculairement quand on me regardait dans les yeux. C'était très intime pour moi. C'est moins le cas aujourd'hui, simplement parce que j'ai eu un entrainement extensif sur les pistes de danse.
J'ai une façon bizarre de marcher. Mon ex était épatée par capacité de zigzaguer en barrant la route d'une personne qui s'apprêtait à me dépasser, comme si j'avais des yeux derrière la tête.
D'une façon générale, je suis mal à l'aise quand je rencontre des inconnus IRL, et ces inconnus se sentent mal à l'aise en retour.
J'ai du mal à ajuster le volume de ma voix, notamment dans les environnement bruyant où j'ai l'impression d'être à moitié atone.
Je peux parler tellement vite que les allistes ont l'impression d'étouffer parce que je ne les laisse pas respirer.
J'ai souvent une expression faciale poker face, donnant l'impression que je fais la gueule. Quand j'étais jeune, j'ai passé pas mal de temps devant un miroir, à essayer de me forcer à sourire.
✅ A3 : Construction atypique des relations
Quand j'étais jeune, je me sentais très seul, j'avais beaucoup de mal à me faire des nouveaux amis. Et quand j'en avais, j'avais du mal à les garder.
C'est beaucoup moins le cas notamment depuis 2014 où je suis parti à Berlin et j'ai trouvé des gens comme moi. Après m'être défini toute ma vie comme un introverti, je réalise avec stupeur que je suis en réalité un extraverti autiste. J'ai un grand désir de connexion aux autres, mais à force me prendre rejet sur rejet, chat échaudé craint l’eau froide.
Pour ne pas perdre le peu de relations que j'avais, j'étais un people pelaser dans la gestion du conflit.
Mais cela ne m'a valu des années de dépressions, alors pour le coup j'ai fini par totalement accepté le principe qu'on ne peut pas plaire à tout le monde, et que qui ne respecte pas mes valeurs, mes limites et ne fais pas l'effort de me comprendre peut bien aller voir ailleurs si j'y suis.
Je peux être également naif et je me suis fait plusieurs fois arnaqué de ce fait.
Le plus grand choc cette année a sans doute été de me rendre compte que non seulement j'étais autiste, mais surtout je m'étais entouré au cours des décennies de nombreuses personnnes qui font COIN🦆 comme des neuroatypiques.
Les musiciens que j'avais aimé ? Plein de neuroatypiques.
Les collègues avec qui j'avais travaillé ? Plein de neuroatypiques.
Les profs qui m'avaient appris de nouvelles matières ? Plein de neuroatypiques
Les femmes que j'avais aimé ? Plusieures neuroatypiques
Critères B1, B2, B3, B4
Extrait de l’article : le DSM reformulé pour les autistes
Se reconnaitre dans deux critères est suffisant, mais moi je je me reconnais dans les quatre.
✅ B1 : Comportements vocaux-corporels répétitifs
Le stimming ? Ah ça je ne fais pas du tout, je ne vois même pas ce que c'est
Famous last words que je disais en janvier à Em.
Et puis un jour on m'a dit que la musique et la danse étaient une forme de stimming, alors j'ai compris que si, j'ai mes routines d'ancrage apaisantes auxquelles j'ai recours encore et encore,
écouter de la cumbia quand j'ai besoin d'énergie
écouter le canon de Pachelbel quand je suis crevé
écouter le second concerto de Rachmaninov quand j'ai besoin d'inspiration
faire ma routine d'échauffement de la voix pour me calmer
jouer hallelujah à la guitare
✅ B2 : Psychorigidité (inflexibilité)
J'ai une grande myopie au contexte.
Je réponds à une question en me focalisant sur son texte, en faisant abstraction du contexte dans laquelle elle est posée, de qui la pose, sa place dans la hiérarchie sociale, son intention, ...
Cela m'a joué énormément de torts en entretien d'embauche où j'oublie aujourd'hui encore que quand on me pose une question, il ne faut surtout pas donner une réponse complète, nuancée et honnête comme on la donnerait à un collègue, mais donner une réponse brêve qui va dans le sens de l'acheteur pour ne pas se faire éliminer.
Mon inflexibilité se traduit aussi par des opinions tranchées. Ce n'est pas une absence de subtilités, parce que pour arriver là, je me pose "trop de questions" comme on m'a souvent fait le reproche. Et si quelqu'un a de bons contre arguments, je suis le principe Strong Opinions, Weakly Hold.
J'ai beaucoup du mal à gérer les transitions.
Rien que sortir de chez moi me mettait dans un état de stress pas possible, parce que j'avais toujours l'impression d'avoir oublié quelque chose d'important avant de partir, et que ma chienne ressentant mon stress, hurlait elle aussi. J'ai déconstruit ca seulement à force de patience et de réflexion.
Partir en vacances c'était tout cela en 10 fois pire, une deadline terrible, les valises faites au dernier moment, un épuisement total. J'avais l'impression que je n'aimais pas les vacances, mais en vrai une fois sur place j'aimais beaucoup. C'était le moment du départ qui m'épuisait. C'est à tel point que j'ai attendu jusqu'à mars dernier pour retourner à Berlin, alors que je voulais le faire depuis le départ.
Ce peut être des transitions entre activités. J'ai du mal à me mettre à travailler, mais ce n'est pas de la paresse, parce qu'une fois dedans, j'ai du mal à m'arrêter. Si on me parle, je mets 5-10 secondes à redescendre sur terre.
C’est d’ailleurs un classique chez les devs, la phobie des interruptions.
✅ B3 : Intérêts intenses et monotropisme
J'ai un énorme appétit de connaissances, l'envie de savoir plein de trucs sur plein de trucs.
Je suis le genre de gars qui va s'intéresser à l'espéranto, avec intensité et profondeur, qui va pas seulement apprendre la langue, mais vouloir connaitre son histoire, et lire sa littérature… alors qu’en bonne société il est évident que c'est un sujet ridicule et une perte de temps.
Le préjugé de l'autiste asocial est particulièrement injuste, parce que comme beaucoup d'autistes, je me suis passionné par plusieurs sujets qui permettent de de décrypter le comportement humain
les langues étrangères
les cultures étrangères
l'écriture
la psychologie
le recrutement
la drague
le marketing
✅ B4 : Sensorialité atypique
L’ouïe est mon sens le plus atypique.
J'ai des oreilles de musicien, la musique a chez moi un effet d'une intensité peu banale. Comme on me l'a fait remarqué récemment, j'ai beau avoir pris des cours, je suis un vrai autodidacte.
J'ai l'oreille absolue ! Ce qui est très très rare dans la population générale... mais 100 fois plus fréquents chez les autistes.
À l'inverse, quand je suis dans un environnement bruyant style bar branché ou musique techno, je sature complètement sensoriellement et devient incapable de fonctionner.
Quand je suis autour d'une grande table avec 2 discussions ou plus simultanées, je ressens une douleur physique et ma batterie sociale s'épuise immédiatement.
J'ai des beaux yeux clairs qui sont très sensibles au soleil, les exposer me fatigue terriblement.
J'ai une hyposensibilité au froid (interoception). Je me rappelle me trimballer en tee-shirt à Noel quand j'étais jeune, et "faire froid" à ma grand mère.
J'ai une hyposensibilité à l'odorat ce qui est très pratique pour survivre dans le métro 13 parisien.
Mon oreille interne est peut-être hyposensible également, car j'ai tendance à rechercher toujours le mouvement, me balancer, sauter, danser tout seul.
TLDR: je suis autiste
C’est un vrai soulagement qui ait comme mantra Vouloir Savoir et Oser Dire