Brain teaser : combien y a t'il de fenêtres à Manhattan ?
Cours de recrutement inversé gratuit pour les devs par un dev qui a fait du recrutement
Tu es bien dans la série : Comment trouver un job quand le marché est pourri et qu'il n'y a rien à attendre de LinkedIn ?
Aujourd'hui je vais me moquer un peu des pratiques de mon ex Dream Company : Google.
La recherche d'emploi, entre exaspération et résignation
Depuis que je parle avec quiconque veut bien m'entendre des mauvaises pratiques dans le recrutement en général, et de la tech en particulier, j'ai observé une double attitude paradoxale :
D'un côté un espèce de cynisme fataliste et impuissant : on hausse les épaule, et on invoque la Règle des 5 C : C'est Con mais C'est Comme Ça.
Les entreprises recrutent comme bon leur semble, rarement de manière pertinente, mais il n'y a rien qu'on peut y faire, et elles doivent bien avoir leurs raisons après tout si elles choisissent de recruter de manière aussi médiocre en se posant aussi peu de questions. La seule chose qu'on peut faire en tant que candidat c'est faire le dos rond, subir et fermer sa gueule
De l'autre côté, chaque fois que j'évoque une mauvaise pratique spécifique j'obtiens un mix d'émotions négatives allant de l'exaspération au mépris et à la colère. Des émotions négatives sont pour moi réjouissantes car poussant à l'action et au changement : non mais attend, on fait toujours ça en 2025, comment c'est possible ?
Quelle duplicité incroyable de la part des boites de réclamer qu'on soit au fait de toutes les bonnes pratiques et de leur part de continuer à appliquer les techniques de charlatan invalidées scientifiquement pour recruter. Coding games ? Mes 3 qualités et mes 3 défauts ? Pourquoi pas la graphologie et l’astrologie ?
Ces boites ne comprennent-elles donc pas que recruter est une priorité stratégique dont dépend l'avenir de l'équipe, du projet, de l'entreprise ?
Spoiler alert : non
Google et les brain teasers
Pour bien comprendre à quel point le problème est omniprésent, on va faire une étude de cas chez la crème de la crème en la matière, une boite qui avait un prestige étincelant à l’époque, où j’aurais rêvé travailler. Une boite qui s'est posé de vraies questions sur le recrutement, a fais de vraies recherches.
Une boite aussi qui aussi a fait n'importe quoi : Google
Vers 2015 une recruteuse Google m'a fait postuler chez eux, et si j'avais été meilleur en programmation dans google docs (une étrange pratique de recrutement chez Google), j'aurais été soumise à la pratique de recrutement pour laquelle Google est éternellement célèbre :
Les brains teasers
Ah ce plaisir d'aller en entretien pour voir si on a le droit de faire son métier et d'être évalué avec des questions qui n'ont rien à voir avec la capacité à faire son métier, et ce alors même qu'on est dans un stress pas possible parce que notre carrière et notre vie peut se jouer sur la manière dont on répond...
Voici quelques questions d'entretien chez Google
1 ) Combien de balles de tennis pouvez-vous mettre dans un bus ?
2) Vous avez une échelle de 100 étages. Avec un œuf, quel est le plus haut étage à partir duquel vous pouvez faire tomber l'œuf sans qu’il se casse, et comment le tester de manière optimale ?
3) Que faire si vous êtes coincé dans une pièce sans fenêtres avec une bougie, un allumette et une lampe à gaz ?
C'est un peu comme si moi j'allais voir un dentiste parce que j'ai mal aux dents
Hé, pour voir si vous êtes compétent comme dentiste : vous faites des dents en or, mais est-ce que vous connaissez la masse atomique de l'or ?
C'est un peu comme moi si j'allais voir un avocat parce que j'ai besoin de faire un divorce à l'amiable
Hé, pour voir si vous êtes un compétent comme avocat, vous avez du apprendre des citations latines à l'université. Alors que veut dire : "Per aspera ad astra." ?
Aujourd'hui on va voir le brain teaser pour lequel Google est le plus célèbre
Combien de fenêtres y a-t-il à New York ?
Interview presque imaginaire :
Googler : Hello Jean-Michel, now we have a little brain teaser to see if you are aze smarte as you sinke you are
Moi : My taylor ize ritche, what is ze question?
Googler : How many windows are there in Manhattan ?
Moi : Combien y a t'il de fenêtres à Manhattan ? Ouh là, vous m'en posez une colle. J'avoue que je ne m'étais jamais posé la question jusqu'ici. Je ne connais pas la réponse exacte.
Googler: That's fine, give me an estimate
Moi : Attendez, de quel type de fenêtres on parle ? Des fenêtres de logement ? Des fenêtres d'usine ? Des fenêtres de centre commercial ?
Googler : Prenez l'exercice comme vous voulez.
Moi : Ok alors prenons les fenêtres de logement pour faire simple. Je ne connais pas trop Manhattan, ça vous dérange si je fais l'exo sur Paris d'abord ?
Googler : Oeuf corse note
Moi : Bon et bien à Paris on est deux millions d'habitants et le nombre de fenêtres de logement a un rapport avec ça.
Googler : Good point, go on
Moi : Si je prends par exemple chez moi, on est deux personnes dans un T3, et il y a 3 pièces avec chacune une fenêtre, plus celle de la cuisine. Ça fait deux personnes et 4 fenêtres.
Googler : You have a lovely flat
Moi : Merci. Du coup si je fais une première approximation simple, chaque personne a 2 fenêtres, 2 millions d'habitants à Paris, ça ferait 4 millions de fenêtres à Paris
Googler : Ok, donc effectivement, on a une première estimation. Mais est-ce que c'est une bonne estimation ?
Moi : C'est une bonne estimation pour un T3 à Paris. Pour un studio de 1 personne, c'est souvent 1 fenêtre, donc ça ferait 1 fenêtre par personne. Souvent il y a un couple dans un appart avec une fenêtre pour la chambre et une pour la cuisine, ça fait 3 fenêtres pour 2, ou 1.5 fenêtres par personne
Googler : So what ize your nouvelle estimation ?
Moi : À vue de nez, c'est plutôt 1.5 fenêtres par personne, 2 millions de personnes à Paris, donc je dirais 3 millions de fenêtres à Paris.
Googler : Very goude. We are making progrèsse. But ze original question was about Manathan
Moi : Alors je ne suis jamais allé à New York, et je ne sais pas combien de New-Yorkais qui habitent à Mantthan plutôt que Brooklyn, Queens, ... Can you Google zat for mi ? ?
Googler : oeuf corse, here at Google, we are very goude at googling. Give me 0.3 seconds. So to answer your question, in 2023, there were 1,628 millions people in Manhattan
Moi : D'accord. Du coup si on conserve le facteur 1.5, mon estimation serait 2.4 millions de fenêtres à Manhattan
Googler : Not bad not bad. Is your 1.5 ratio a good one though ?
Moi : Je pense qu'il est plutôt bon oui. Pour une ville US au milieu du désert comme Dallas ou Phénix, j'aurais pris un ratio fenêtres/personnes beaucoup plus grand parce que les maisons sont immenses. Mais Paris et New York ont en commun d'être deux des villes les plus denses du monde. Pour Manatthan, ça me parait pas mal de prendre le même ratio qu'à Paris.
Googler : Ok, we will get back to you but I think you nailed it
Google fait le bilan critique de ses pratiques de recrutement
Alors qu'est-ce qu'on pense de l'exercice ?
Ben écoutez franchement moi j'ai bien aimé. Qu'est-ce que je me sens intelligent d'avoir aussi bien répondu !
Il faut dire que comme les interviewers à Google je savais à l'avance comment répondre à la question. Et c'est justement pour cela que, malgré que les brain teasers ne servent à rien, Google a continué à en poser pendant des années et des années du haut de sa tour d'ivoire, sourde aux critiques évidemment correctes du monde extérieur, préférant partir du principe que les critiques étaient des losers qui n'étaient pas assez intelligents pour travailler chez eux.
Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Lazlo Bock, former senior vice president of people operations at Google
On the hiring side, we found that brainteasers are a complete waste of time.
How many golf balls can you fit into an airplane?
How many gas stations in Manhattan?
A complete waste of time.
They don’t predict anything.
Brain Teaser serve primarily to make the interviewer feel smart.
Oui vous avez bien lu si vous parlez angliche. Google a fait des recherches sur ses propres pratiques de recrutement, a fait des corrélations entre les notes aux entretiens des candidats, et notamment aux brain teasers, et leur performance future en tant qu'employés.
Le résultat : zlitch, nada, que dalle, aucune corrélation.
Par contre Google a observé un effet très positif : poser un brain teaser aide l'interviewer, qui lui connait la réponse, à se sentir intelligent en face de l'autre, qui galère
Google n'a même pas le mérite d'avoir inventé la mauvaise pratique
On pourrait dire qu'au moins Google a innové une mauvaise pratique avec ses fameux brain teasers qui se sont répandu comme une trainée de poudre (normal vu le prestige de Google à l'époque).
Hélas, j'ai appris en lisant le livre Developer Hegemony de Erik Dietrich que même cela n'est pas vrai.
In 1921, tired of hiring college graduates that didn’t know as much as he did, Thomas Edison made up a giant trivia questionnaire to administer to inbound applicants.
According to website Mental Floss, questions included “Who invented logarithms?” and “Why is cast iron called Pig Iron?”
If you look at the sorts of questions that modern day tech companies seem to think they’re cute for asking, they include such profundities as “Why is the Earth round?” and “How much do you charge to wash every window in Seattle?”
If you mixed Edison’s and tech companies’ questions together, you’d be hard pressed to tell the difference.
To summarize, almost 100 years ago, an aging, eccentric, and incredibly brilliant inventor decided one day that he didn’t like hiring kids that weren’t his equals in knowledge.
He devised a scheme off the cuff to indulge his preference and we’re still doing that exact thing about a century later.
Et oui les brain teasers c'est une mauvaise pratique qui a plus de 100 ans !
Thomas Edison, le Elon Musk de l'époque, celui qui déjà à l'époque salissait de nom de Tesla, posait déjà le même genre de questions de merde que les boites de la Tech aujourd'hui.
Les paysans qui étaient jugés par le seigneur et maitre comme n'étant pas dignes de son savoir et de son intelligence étaient écartés sans ménagement.
But was it at least effective in Edison’s day? Evidently not.
According to his archives, Albert Einstein would not have made the cut.
So the biggest, trendiest, most forward thinking tech companies are using a scheme that was dreamed up on a whim and was dead on arrival in terms of effectiveness.
Est-ce que au moins les brain teasers étaient efficaces à l'époque de Edison ? Et non à l'évidence ! Albert Einstein n'aurait pas réussi le test, pas assez intelligent pour Thomas Edison le Albert. Ben oui on veut pas des moitiés de génie, il parait que le mec était nul en maths.
("nul" en maths dans le sens moins bon que Paul Dirac)
Du bon usage de la honte
Qu'est ce qu'on a appris de tout cela ?
Que Google la crème de la crème des boites de la tech, qui s'est posée de vrais questions sur la manière de faire du recrutement et a même fait progresser la recherche sur le sujet, a cru pertinent de tirer du tombeau une mauvaise pratique de recrutement vieille de 100 ans, "pensée" sur un coup de tête égocentrique par un inventeur eccentrique, et dont on savait déjà que son efficacité pour évaluer la capacité des candidats à faire le taf était nulle. Et qu'elle a conservé cette mauvaise pratique pendant beaucoup trop longtemps parce qu'elle permettait aux interviewers de se sentir smart.
Et pourtant c'est le cas idéal parce que remise en cause, même si trop tardive, il y a eu.
Gardez cela en compte et demandez-vous ceci :
Si Google a pu autant se planter, peut-on raisonnablement croire que la boite tech moyenne sait évaluer la capacité des candidats à faire leur taf ?
Cela alors même que la boite moyenne de la tech ne fait pas du recrutement une priorité, ne s'est pas posée beaucoup de questions, fait tout dans l'urgence, et copie/coller dans l'urgence les mêmes mauvaises pratiques que les autres, quand elle ne délègue pas tout simplement le recrutement à des ESN qui ne savent pas mieux recruter qu'elle ?
Tout le monde ne peut pas être expert du recrutement, même si on devrait et on pourrait dire aux entreprises de faire enfin du recrutement une priorité stratégique pour l'entreprise et envoyer leurs recruteurs se former à l'école du recrutement ou à Blendy.
Que peut faire en attendant quiconque joue une rôle dans le processus de recrutement - recruteur proprement dit, manager qui recrute, dev senior qui évalue, ... ?
Pour moi le bon état d'esprit à avoir pour éviter les pires erreurs est de se laisser ouvert à la possibilité d'avoir honte de ses propres pratiques.
Je me rappelle quand j'ai été candidat que j'ai détesté certaines pratiques. Quand je passe de l'autre côté de la danse, je me rappelle que ne je suis pas là pour juger le candidat, je suis là pour évaluer sa capacité à faire le taf. Et dans le même temps, j'ai l'état d'esprit que la dev a le droit de son côté d'évaluer si je fais bien mon rôle d'évaluateur parce que l'entretien n'est pas une voie sans unique. Avoir cela en tête m'évitera d'avoir des comportements dont j'aurais un peu honte.
C'est très utile la honte quand elle nous pousse à éviter de faire les choses qu'on ne devrait pas faire.
Merci de faire partie des happy few qui testent le cours par email.
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Pour retrouver les épisodes précédents de la série, c'est par ici
Toujours très intéressant.
Comment peut-on savoir si la méthode que l'on applique lors du recrutement est la bonne ?
Est-ce que l'on peut proposer d'autres stratégies au recrutement ? J'ai l'impression, en te lisant, que le fait de recruter est une tentative de lire le futur.
Qu'en penses-tu ?