La musique qui me sort de la dépression
Concerto No 2 pour piano en DOm - Sergeï Rachmaninov - K. Zimerman
J’ai écouté ce morceau plus d’une centaine d’heures avant de vous en parler, parce qui m'aurait cru ?
To the happy few
Dans l'art de la dépression je partageais un secret sur la puissance de l’art à rendre visible et compréhensible l’expérience de la dépression.
Je m'attends à ce que cet article ne touche qu'une personne sur 100, mais quand bien même cela en vaudra la peine pour la personne en question.
Cet article je ne l'écris donc que pour toi, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère. Je vais partager pour la première fois en public l'oeuvre d'art qui m'a bouleversé, réconforté, fait pleurer toutes les larmes de mon corps, encore et encore, qui en un mot est devenu mon compagnon d'infortune.
Je fais te faire écouter le concerto n°2 de Rachmaninov - Rachie pour les intimes.
Il ne faut pas trop en demander aux adultes
C'est Antoine de Saint-Exupéry qui m'avait averti
Et moi aussi j'ai laissé tomber l'idée de parler de mon concerto de piano
Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c'est fatigant de toujours et toujours leur donner des explications.
Jusqu'au jour où une princesse débarque d'une planète lointaine
Alors moi ce n'était pas une princesse, mais c'était encore mieux, c'était une artiste, qui me faisait rêver en parlant des vies d'artistes dans des articles fleuves façon Amazone.
Elle venait de la lointaine planète VoxAxoV, de la galaxie Musique.
Et elle était triste.
Alors pour la réconforter, j'ai fait cette tentative
Note: Mes messages sont à gauche, en blanc
Et miracle, pour la première fois quelqu'un voyait, ou plutôt entendait autre chose qu'un chapeau.
“C'est super beau et qu'est-ce que c'est intense !”
Charlotte a écouté juste, "All by myself" est une reprise de Rachmaninov
Et surtout c'est intense en effet.
Alors je lui expliquais pourquoi c'était aussi intense.
Je lui racontais une histoire à dormir debout et pourtant vraie.
Ouf, heureusement elle ne m'a pas demandé de dessiner un mouton, écrire un article c'est plus dans mes cordes! Alors allons-y pour un article, voici le secret.
Rachmaninov parle au piano de sa santé mentale
On le voit sur la partition elle-même - sur IMSLP qui est dédiée, ce n'est pas banal, à Monsieur N. Dahl... qui n'est autre que son psychiatre.
Pourquoi cette gratitude ? C'est spécifiquement parce que le Monsieur N. Dahl en question lui a donné, quand il était au fond du gouffre et continuait à creuser, lui tint à peu près ce langage :
"Rachie, je connais ta souffrance, je sais à quel point que tu te sens fini, brisé, humilié. Je sais tout cela. Mais tu n'es pas que ce personnage lamentable qui t'afflige. Tu es aussi, même si tu as tendance à l'oublier, un putain de compositeur de génie. Pourquoi n'utiliserais-tu pas ton art pour extérioriser ce que tu ressens ?"
Et bien ce conseil n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Bien au contraire, il est tombé dans l'oreille d'un putain de compositeur de génie.
Quand on m'a raconté cette histoire, vous pensez bien, je me suis précipité sur YouTube et sur mes écouteurs.
Et ce fut une claque monumentale
Quand j'entendis l'interprétation de K. Zimerman, ce fut évident.
Immédiatement
Rachmaninov y racontait sa sortie de dépression.
Avec une éloquence, une force, une intensité émotionnelle incroyable.
K. Zimerman est un extraterreste, comment peut-on jouer comme cela ?
J’ai ma théorie que lui aussi a connu sa période dark et que l’histoire de Rachmaninov résonne avec la sienne sous ses doigts.
Et quand il raconte l’histoire qu’a composé Rachie, leurs deux histoires résonnent avec ma propre histoire.
J'ai écouté ce morceau plus d'une centaine de fois depuis cette découverte inespéré.
J'ai aussi fait écouter Rachmaninov au général de Gaulle, et épaté par cette libération de la parole musicale, "ne dissimulant pas son émotion", il s'est presque exprimé :
"Rachie outragé ! Rachie brisé ! Rachie martyrisé ! Mais Rachie libéré, et par sa musique !"
Ce qui a attiré irrésistiblement l'oreille aussi musicale que Charles et Charlotte, ce n'est pas seulement la virtuosité technique (c'est du Rachmaninov), c'est le tourbillon émotionnel qui le transcende.
C'est que la sortie de dépression est un moment spécial, inespéré, inoubliable, euphorique.
On a tant remis à plus tard le fait de ressentir, de faire, de pouvoir, de créer, de partager, de dire,... que quand l'espoir renaît, tout revient d'un coup.
On est pas loin des amours de la Marine contés par Brassens
C'est là le sort de la marine
Et de toutes nos petites chéries
Toutes les joies, tous les soucis
Des amours qui durent toujours
Y'a tout ça en raccourci
Dans nos petites amours d'un jour
Cher lecteur j'imagine que tu n'as pas vécu cette expérience hors du commun et/ou que tu n'as pas l'habitude d'écouter un morceau de piano avec des bons écouteurs et toute ton âme.
Alors laisse moi être ton guide
Un parcours émotionnel
t=0s
Un crescendo d'anthologie qui démarre par 5 secondes interminables de silence
Je ressens ce passage comme si Rachmaninov était en train de fracasser le mur qui le sépare des vivants. Si on l'entends si peu au départ, c'est qu'il est loin, si loin. Mais le pianiste a beau avoir une patte de velours, il frappe comme un boxeur poids lourds jusqu'à établir la brêche.
t=38s
J'appelle cela le passage des parents protecteurs.
Le piano et l'orchestre ont un morceau très différents et pourtant magiquement complémentaires.
Le piano joue des basses puissantes, et c'est comme si un père fort était là pour secouer de l'apathie émotionnelle et écarter le danger. Pendant ce temps l'orchestre est telle une mère qui épanche notre besoin de consolation en nous berçant de sa mélodie.
t=1m8s
Rachie a ici rassemblé suffisamment de confiance en lui pour voler de ses propres ailes, et s'envole d'abord prudemment, puis monte, monte dans l'azur.
t=1m58s
Il y a un échange de mélodie depuis l'orchestre vers le piano
Le bel oiseau ne fait plus que grimper, il virevolte et fait des acrobaties.
Il s'amuse.
t=2m13s
par exemple ce pur moment d'inspiration, qui ne dure que quelques secondes, mais laisse présager de très bonnes choses pour la suite.
t=2m30s
ici commence l'oeil du cyclone, un long moment de repos, qui dure bien cinq minutes
c'est comme si Rachie comprenait qu'il fallait savourer l'euphorie lentement
comme si il se retournait vers la personne qu'il était il y a quelques mois
et l'entourait de sa douceur et de sa compassion.
t=4m58s
Tout commence à réussir à celui qui hier échouait dans les tâches les plus simples, et comme l'appetit vient en mangeant, ça va de mieux en mieux pour Rachie.
Cette phase commence de manière intense et le devient de plus en plus à chaque virage qu'elle prend.
L’inspiration grandit, grandit.
L'oiseau s'approche de la stratosphère et du mur du son
... et justement à t=7 minutes éclate
La marche du triomphe
C'est beau, c'est grand, c'est magnifique.
C'est la revanche de Rachie et c'est son retour à la vie.
Et c'est aussi le moment exact ou des dizaines de fois j'ai éclaté en sanglots toutes les larmes de mon corps.
Des larmes de joie qui pansent les blessures de mon âme.
Qui aurait pu dire que la musique ait un tel pouvoir guérisseur ?
Qui aurait pu dire que le piano puisse parler de santé mentale ?
Qui aurait pu dire qu'un concerto puisse me raccrocher même quand je suis au fond du trou à l'espoir de la guérison.
Merci Rachie, t'es un putain de génie.